— Tu as tout ce qu’il te faut ? demanda la sœur ainée.
— Oui, oui, oui, répondit sa cadette en serrant son sac à main entre ses mains.
— Ne prends pas ce ton-là avec moi. Je ne voudrais pas que tu te retrouves là-bas et qu’il te manque quelque chose juste parce que tu n’as pas voulu que je te donne un bon conseil.
— Je sais, mais je suis sûre d’avoir tout ce qu’il me faut, merci.
— Bon, si tu es sûre. Tu as ton argent ?
— Oui, j’ai mon argent.
— Bon, bon. Tu as de quoi manger ?
— Je t’ai déjà dit, j’ai tout ce qu’il me faut. Et puis, c’est toi qui a préparé mon sac, non ?
— Oui c’est vrai, mais on ne sait jamais. Il faut toujours tout vérifier, au moins deux fois.
— Tu as tout vérifié six fois, je t’ai vue.
— Dis tout de suite que je suis une maniaque !
— Tu es maniaque. Tu as plein de manies.
— Ce n’est pas tous les jours que ma petite sœur fait un voyage important !
— Tu es juste dépitée de ne pas partir en premier.
— Pas dépitée… mais il y a des choses que j’aurais voulu traiter moi-même. Comme avec le cousin Pascal. Tu te souviens du cousin Pascal ?
— Si je me souviens du cousin Pascal ! On était à l’école ensemble !
— C’est un filou. Il est parti en nous laissant tout le travail à faire. Tu sais que je n’ai pas pu retrouver son fameux contrat de mariage ? J’ai retourné toute la maison, et rien, rien, rien !
— Je m’en souviens.
— Ah, celui-là, j’aurais voulu lui parler directement. Tu me diras, hein, si tu sais où il l’a mis ? C’est un papier important. Pas pour moi, pour les enfants. Si ce n’était que pour moi…
— Si je peux te contacter avant que tu viennes, bien sûr, je le ferais.
— Tu sais que je ne demanderais jamais rien pour moi !
— Non, je sais…
— Bon. Tu as à manger, c’est sûr ?
— Oui, oui.
— Oui, bon, excuse-moi. C’est parce que je ne vais pas pouvoir te donner de conseils pendant un moment, il faut que je le fasse tant que je le peux encore. Ah, n’oublie pas de saluer Thérèse, quand tu la verras.
— Thérèse ?
— Oui, tu sais. La voisine Thérèse, avec tous ses chats.
— Pourquoi j’irais parler à Thérèse ? On la détestait !
— Je sais, qui de sain d’esprit pourrait garder autant de chats chez elle ? Et elle nous a fait les nourrir assez souvent pour que je sache que ce n’était pas des chats, mais de vrais monstres. Dès qu’elle avait le dos tourné, hop, une horde de sauvage. C’est ça, les chats. C’est pour ça que je préfère les chiens.
— Alors, pourquoi veux-tu que je la salue ?
— Parce que ça se fait, entre voisins, figure-toi !
— Oh, bon. Si tu insistes.
— Fais-le, c’est tout. Et puis, ce sera un visage familier. Qu’est-ce que tu as à tordre tes mains comme ça?
— C’est l’attente. Je suis un peu anxieuse.
— Oui, moi aussi. Tu as tes pastilles ?
— Mes pastilles ?
— Oui, tes trucs, là… à la cannelle.
— Oui, oui, oui.
— Bon. Et les poupées, tu les as ?
— Tu les as mises dans la poche avant ?
— Oui, mais est-ce qu’elles y sont toujours ?
— Oui, oui, oui.
— Ouvre le sac, que je les vois. Ça va me rassurer, et ça va t’occuper les mains.
— Tiens, voilà.
— Oui, c’est bien. Arrête de triturer ce sac comme ça, il va tomber en morceaux.
— Je n’y peux rien, c’est le stress. C’est la première fois que je vais aussi loin, aussi.
— Si j’avais pu, je serais partie avec toi. Ça va être drôle, ici, sans toi…
— C’est toujours plus difficile pour ceux qui restent.
— Oui, oui.
— Tu vas pleurer ?
— Bien sûr que non !
— Tu vas pleurer.
— Idiote, tu sais bien que je vais pleurer. Je pleure toujours.
— Oui, oui. Moi aussi.
— Maintenant il faudra que je pleure pour nous deux, tant que tu ne seras plus avec moi. Tu es sûre que tu as l’argent ?
— J’en suis sûre.
— Tu le donnes au conducteur, c’est facile.
— Je sais, je sais.
— Ça m’embête que tu sois seule. Tu aurais dû prendre Oscar avec toi.
— Oh non, il est bien là ou il est.
— Ce chien ne fait que ce qu’il veut, de toutes façons. Il t’aurait tenu compagnie…
— Il m’aurait embrouillée. C’est bien comme ça.
— Si tu le dis…
— Oui, oui.
— Tu seras avec Claude, là-bas, ce sera bien.
— Oui, oui…
— Tu t’es toujours bien entendu avec lui.
— Oui, oui…
— Tu as du mal à garder les yeux ouverts, on dirait… tu as dormi, cette nuit ?
— Pas beaucoup. Trop de questions…
— Ah, oui, oui, forcément. Dis-donc, c’est déjà l’heure ?
— Je crois. Et je suis déjà fatiguée…
— Oh. Bon. Alors… fais un bon voyage.
— Merci…
— Contacte-moi si tu peux. Ça me rassurera un peu.
— Oui…
— Sinon, je partirais du principe que tout va bien de toutes façons. Et n’oublie pas le cousin Pascal.
— Non…
— Je te rejoindrais plus tard. A bientôt, petite sœur.
— Oui…
— C’est bien, dit la sœur ainée en regardant sa sœur cadette s’éloigner.
Elle attendit toute la nuit. Puis elle rabattit le drap, éteignit la lampe, et referma la porte derrière elle en quittant la pièce.